Paysage, mon beau paysage, dis-moi qui est le plus beau?
Explorer la multiplicité des médiums pour éprouver la palette des perceptions. Traduire et s’effacer en direction de l’horizon, du vide pour accueillir le natif retour d’une origine.


Grégory Corthay élabore une œuvre transversale où se rencontrent esthétique du sensible, récit intérieur et attention au paysage. Sa démarche, à la fois intuitive et conceptuelle, mobilise divers médiums pour interroger notre rapport à la présence, au rêve et à l’image. À travers ses actions, il tisse des passerelles entre perception intime et réalité partagée, entre mémoire, corps et territoire.
Né le 12 janvier 1977, l’artiste visuel vit et travaille à Sion, en Suisse.
Son regard se développe entre les Alpes et les circulations intérieures qui nourrissent sa pratique, mêlant photographie, écriture, gestes conceptuels et explorations sensibles du réel.
Après une année déterminante comme exchange student à la School of Visual Arts de New York en 2010, il poursuit sa formation à l’ECAL, où il obtient un Bachelor en Arts Visuels en 2011, puis un Master European Art Ensemble en 2013.
Son travail, marqué par une attention aux phénomènes subtils — du corps aux paysages, du quotidien aux zones invisibles — s’inscrit dans une recherche continue : comprendre comment une image, un signe ou une présence peuvent ouvrir un passage.













A Modern Odyssey, 2013, photos Ufuk Serim Arslan
A Modern Odyssey
Mon projet s’est construit autour de L’Odyssée d’Homère, envisagée comme un voyage contemporain mêlant design, performance et récit personnel.


Le presque oracle
En collaboration avec deux jeunes designers de la HEAD – Genève, nous avons conçu un costume pensé pour le déplacement : un manteau en laine, une cape réversible (bleu nuit d’un côté, tissu réfléchissant de l’autre), et un pantalon. Mon seul bagage était une sacoche contenant mes sous-vêtements – une manière de rester mobile tout en conservant une certaine rigueur corporelle. Ce costume, que j’imaginais comme un habit multifonctions, jouait le rôle de vaisseau spatial personnel, me permettant de traverser les paysages avec autonomie.
Mon périple a débuté à Martigny et m’a conduit jusqu’à Istanbul, que j’ai rejoint en train. J’y ai séjourné un mois, entre Europe et Asie, en collaboration avec l’Université des Beaux-Arts d’Istanbul, et plus précisément avec le département de photographie. Cette expérience m’a permis de documenter ma performance et d’en tirer une série photographique significative. C’est à travers ce travail d’image que je me suis découvert une affinité particulière avec le romantisme et la figure du flâneur.
Parallèlement, j’ai beaucoup écrit. Alors que je prévoyais de poursuivre ma route vers la Grèce, un appel plus intime m’a ramené à Genève, où j’ai erré pendant un mois, incognito, tandis que mes proches me pensaient toujours en voyage. Mon périple s’est finalement achevé à Francfort.
Paysage, mon beau paysage, dis-moi qui est le plus beau? Le paysage vierge, ode romantique, balade solitaire, une nourriture qui diffuse le regard et les fantasmes. S’inscrire à l’intérieur de son image, c’est le symbole d’une conquête. Sans photos, ni vidéos, nous ne serions jamais allés sur la Lune.

Dans le cas d’Ulysse, le vent symboliserait l’esprit du flâneur, qui sans trop se poser de questions se laisse porter d’un endroit à un autre au gré de l’inspiration, si toutefois le flâneur accepte d’être considéré comme quelqu’un d’inspiré car certaines positions lui sont imposées voire suggérées. Ces multiples temporalités préservent et électrisent chaque nouvelle rencontre. Le flâneur, tout comme Ulysse, met à l’épreuve son monde. Il invoque la magie et révèle la poésie des rendez-vous. L’amour, comme celui d’Ulysse et Pénélope, concrétise une réalité lointaine et génère une tension qui relève le caractère extraordinaire de cette liberté. Il est essentiel.
Ulysse, flâneur antique
Livré à la volonté des vents qui le faisait échouer sur d’improbables rivages, Ulysse était sans cesse invité à faire de nouvelles rencontres et vivre les expériences extraordinaires de l’imaginaire antique. Les difficultés et les enchantements de son aventure définissaient la temporalité ainsi que l’intensité de son errance. Car Ulysse errait. Après une guerre des plus longues sur les rivages de Troie, Ulysse rentrait au pays avec ses compagnons. L’esprit libéré des contraintes martiales, une ambiance légère régnait sur le navire. Grands aventuriers dans l’âme, ces années de patiences guerrières avaient motivé l’idée d’une petite croisière afin de se dégourdir avant de revoir femmes et enfants. Ulysse était impatient de revoir Pénélope. L’amour et l’aventure, deux «a» qui nous confondent terriblement. Qu’on ait goûté à l’un ou l’autre, voire même si les deux sont consommés en même temps, l’esprit fusionne, les mélopées commencent à résonner et font fondre la raison. À ce moment, on ne peut que s’en remettre aux Dieux, aux vents et autres éléments qui eux assument déjà leur liberté. Ulysse se trouvait dans l’entre-deux monde. C’est alors que sa décision fut en quelque sorte motivée. Voyant que son coeur balançait aux regards de ces deux muses, par boutade, ses amis l’attachèrent au mat du navire. Aussi, ils se bouchèrent les oreilles pour se protéger des sirènes du prompt amour qu’Ulysse clamait pour Pénélope. Voilà qui expliquerait en partie, le début de ce voyage. La suite des événements serait une succession de rencontres harmonisant les différents caractères qui serviraient à combler l’inspiration des plus grands flâneurs. Après avoir consacré toutes ces années aux stratégies et coups d’épées, il avait sûrement besoin de se refaire un monde d’aventures et goûter aux charmes du monde avant de retourner dans son pays. Nettoyé du sang et des complaintes des mourants, il retrouverait Pénélope, qui comme l’étoile du Sud avait brillé et guidé son amour tout au long de ses dérives.


